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« Et in arcadia Ego » ou l’étrange secret de Nicolas Poussin : part II

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Résumons, avant de poursuivre, les acquis de la première partie :

-          Poussin a réalisé deux versions des Bergers d’Arcadie sensiblement différentes ; si la première est conforme à tous les canons classiques de ce thème, aussi bien sur la mort symbolisée par le crâne que par le décor et la surprise des bergers, la seconde s’éloigne considérablement tant d’un point de vue thématique car le crâne a disparu en même temps que la surprise, que du point de vue plastique où un pentagramme structure l’œuvre. Fait remarquable sur le quel je vais revenir sous peu, la forme du tombeau a été également profondément modifiée…

-          La question du pentagramme – que j’ai matérialisé ci-dessous – dont on voudra bien excuser la maladresse de mon maniement du curseur…, est centrale ; j’ai figuré en rouge la verticale structurant l’œuvre, qui évidemment sépare la toile en deux parties parfaitement égales et dont le doigt de l’un des bergers portant très curieusement des lauriers indique le point de passage. Ainsi qu’on peut aisément le constater, la verticale structure également le pentagramme dont le point nodal est, comme par hasard, la main du berger déchiffrant l’inscription et in arcadia ego.

poussinpentagramme.jpg

-          Nous avons une lettre de l’abbé Fouquet informant Nicolas Fouquet que Poussin détient en secret qui se pourrait être « méprisé » si l’on n’y prend pas garde, ce qui témoigne d’une évidence : il ne s’agit pas d’argent, car jamais un roi ne saurait mépriser par mégarde une somme financière importante ; il s’agit de quelque chose de banal de prime abord, qui risquerait d’être méprisé en raison même de son apparente banalité mais dont la compréhension véritable semblerait assurer une domination et un pouvoir illimités. Tel me semble être le sens de la lettre dont il serait incongru d’y voir une quelconque problématique financière ou prosaïque : il y a de l’exaltation dans le ton de Fouquet qui invite à penser au-delà des contingences purement matérielles.

-          Les trois points relevés ci-dessus sont factuels et ne relèvent en aucun cas d’un délire ; chacun d’entre eux est prouvé et n’est guère sujet à caution.

Je repartirai donc de cette notion de secret, afin de cerner ce qu’il pourrait désigner. Je suis donc amené à citer deux faits, eux aussi incontestables. Premièrement, le célèbre Abbé Saunière, protagoniste involontaire de la tragi-comédie de Rennes-le-Château, s’est rendu à Paris où il a rencontré les cercles ésotéristes de l’époque, afin de faire examiner et traduire les parchemins qu’il avait trouvés dans une colonne creuse en faisant des travaux en 1891 dans sa petite église ; revenu à Rennes-le-Château, il avait ramené de Paris une copie très fidèle du tableau de Poussin, à savoir la seconde version des Bergers d’Arcadie. Je fais une pause et demanderai aux lecteurs bienveillants et rationalistes de ne pas m’accuser de tous les noms ; dire que l’abbé Saunière a ramené cette copie, ce n’est pas croire à ce que l’on dit autour de l’affaire de Rennes, c’est rapporter un simple fait ; refuser d’examiner ce fait, c’est cela qui me semble relever d’un antirationalisme certain.

Je crois donc que l’on ne peut en aucun cas éluder la question suivante, à moins de faire preuve d’un positivisme borné, ou d’un antirationalisme forcené : pourquoi Saunière s’est-il vu confier par ses amis une copie du tableau dont on parle depuis le début ? Avant de répondre à cette question, je tiens à préciser que même si l’on ne croit pas à ce qui a pu être dit autour de Rennes, il est factuel qu’un certain nombre de personnages ont vu un lien entre cette affaire et le tableau de Poussin et qu’il serait proprement farfelu de refuser de considérer qu’il y a là matière à réflexion. Autrement dit, si certains ont considéré que le tableau de Poussin entrait en résonnance avec les découvertes de Saunière, c’est qu’il devait y avoir une raison, fût-elle fausse !

Revenons donc à notre interrogation : quel peut bien être le lien entre le tableau de Poussin et Saunière ? Il me semble qu’il y a deux raisons à cela. Une première, faible, qui réside dans la dalle de la marquise de Blanchefort dans l’église de Rennes-le-Château sur laquelle était inscrit Et in arcadia ego, mais à l’aide de lettres grecques (sic). Cette coïncidence est faible, disais-je, pour deux raisons : d’une part parce que la dalle n’est attestée que par un relevé archéologique de 1885 que rien n’a pu confirmer par la suite, d’autre part parce que Saunière s’est acharné à en effacer les inscriptions… Par ailleurs, quand bien même cette dalle serait-elle authentique, cela ne dicterait en rien le choix d’une copie du tableau de Poussin en particulier, puisque, ainsi que je l’ai rappelé en première partie, l’inscription et in arcadia ego était un topos aussi bien poétique qu’iconographique si bien que nul critère ne permettrait de retenir la seconde version des Bergers d’Arcadie de Poussin plutôt qu’une copie du Guerchin ou qu’un poème de Virgile…

Mais il y a en revanche un autre fait, bien plus intéressant : ainsi que je l’ai rappelé, entre ses deux versions, Poussin a non seulement radicalement changé de choix plastiques mais aussi de choix iconographiques ; un des points que j’ai suggérés mais que je n’ai pas développés, c’est le changement radical de la forme même du tombeau qui s’appauvrit considérablement, et qui, d’un bois travaillé et subtil, devient une pierre presque brute, sans grâce et sans charme mais qui, pourtant, s’octroie le centre absolu de la toile. Encore une fois, à moins de sombrer dans l’antirationalisme voulant que « c’est comme ça », rien ne peut interdire de s’interroger quant aux motivations d’un tel changement figuratif. Que représente précisément la seconde version des bergers d’Arcadie ? Un tombeau parfaitement isolé, qui change sensiblement de forme entre les deux versions, et derrière lequel on aperçoit, au loin, des montagnes accidentées, qui ne figuraient pas du tout dans la première version de l’œuvre. Encore une fois, on peut faire le choix de l’antirationalisme, de dire que ces montagnes apparaissent au hasard, que la forme du tombeau a été changée comme ça, sur un coup de tête, mais on peut aussi émettre l’hypothèse, mille fois plus vraisemblable à mes yeux, qu’un maître comme Poussin ne laisse jamais rien au hasard…

Je crois donc que la raison majeure pour laquelle il y a un lien très fort entre Rennes-le-Château et le tableau de Poussin est que celui-ci est une représentation très précise de Rennes-le-Château, le tombeau représenté n’étant autre que celui que la fameuse tombe d’Arques matérialisera en 1903. Cette explication a pour elle de substituer au hasard absurde la justification du changement de forme du tombeau, la présence inédite de montagnes accidentées. Il y a une autre justification qui me semble primordiale et qui, à ma connaissance, n’est jamais évoquée : elle tient à l’attitude des Bergers. J’ai longtemps insisté sur le fait que la seconde version des Bergers d’Arcadie de Poussin était la seule version picturale connue remplaçant le regard surpris des bergers par la méditation et la réflexion ; à nouveau, on peut dire que c’est le hasard, mais je crois que ce serait là faire preuve d’une totale mauvaise foi ; je pense très profondément que les bergers ne peuvent pas être surpris par la présence d’un tombeau et de la mort parce qu’ils ne sont plus, pour la première fois, dans un lieu mythique, mais dans un lieu réel, incarné, terrestre, celui de Rennes-le-Château.

arques.jpg

On ne peut donc en aucun cas refuser d’examiner ce fait pictural qu’est celui de la radicale destruction de la surprise opérée par Poussin dans la seconde version et je crois que cela n’est intelligible que si l’on restitue le sens même de l’œuvre : la surprise et l’effroi proviennent dans les versions traditionnelles du fait que ces bergers découvrent que la mort est présente même dans un lieu mythique et paradisiaque qu’est l’Arcadie ; par conséquent, si la surprise disparaît, c’est que la mort n’est plus incongrue dans le nouveau lieu qui est le leur, en raison même de la pleine réalité du monde où se trouvent ces bergers qui ne sont nulle part ailleurs qu’à Rennes-le-Château…

tombedarques2.jpg

Récapitulons : identifier la tombe du tableau à celle d’Arques permet de résoudre trois difficultés factuelles – que les antirationalistes attribuent au hasard : 

1)       Pourquoi Poussin a-t-il à ce point modifié la forme même du tombeau tout en le plaçant au centre absolu de l’œuvre ?

2)       Pourquoi Poussin a-t-il figuré des montagnes aussi accidentées en arrière-plan alors qu’elles ne figurent nullement dans la première version ?

3)       Pourquoi Poussin a-t-il décidé de modifier l’attitude des bergers et, partant, de radicalement bouleverser le sens de l’œuvre ?

Je crois que l’identification du tombeau à celui que matérialisera la tombe d’Arques permet de répondre à ces trois questions majeures qui, sans cela, resteraient sans réponses sinon celle absurde du hasard.

radiographiepoussin.jpg

Il faut donc bien comprendre que dans la première version, Poussin peint un lieu mythique, sans attache réelle sinon celle du double mouvement de son imagination et de la tradition picturale, tandis que la seconde version des Bergers relève de la mimésis au sens où elle représente un paysage réel qu’il a été, semble-t-il, amené à connaître. Or, fait curieux, une radiographie des Bergers a révélé que toute la partie à droite de la ligne que j’ai figurée en bleu avait été refaite, particulièrement pour les montagnes situées à droite des arbres, qui ne figuraient pas dans la première idée de Poussin, de même que le nuages gris et menaçants formant contaste avec le ciel immaculé de la gauche ont été rajoutés ; et que représentent ces montagnes ? Elles représentent très exactement les trois monts que l’on voit lorsqu’on se trouve au pied de la tombe d’Arques. Le hasard toujours…

cardou11.jpg


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