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Martin Scorsese : Shine a light. Portrait des Stones en gothique flamboyant

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On attendait beaucoup du film du géant Scorsese consacré aux immortels Rolling Stones ; immortels mais vieillissants et défigurés par d’effroyables rides barrant leur visage devenu vestige de drogues diverses dont on se demande, à voir l’énergie déployée sur scène, s’ils ont vraiment arrêté l’usage. Comment faire du beau avec du laid ? Comment réussir un film esthétisé à souhait à partir de quatre squelettes bondissants aux faciès fripés ? Telle était la délicate gageure de Scorsese, dont le film proposé, Shine a light, assoit définitivement le génie du réalisateur de Casino. Extraordinaire débauche de couleurs d’un gothisme flamboyant, images sublimes, Scorsese restitue la formidable explosion d’énergie que constitue tout concert des Stones, à partir d’une réalisation sans fautes, qui rappelle que les Stones sont, tout simplement, le plus grand groupe de l’histoire du Rock.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le film n’est pas monolithique, loin de là : les quelque vingt premières minutes sont consacrées à la préparation non pas du spectacle mais de la mise en scène ; un running gag organisé autour de la set list qui n’arrive pas, montre un Scorsese qui, tel un Woody Allen maladroit et hésitant, réclame sans trop y croire, quelques minutes avant le début du spectacle, la liste des morceaux joués, ne serait-ce que le premier afin de savoir si Keith enverra un riff ou si Jagger commencera a capela. Histoire de placer correctement ses caméras. Scorsese n’a droit qu’à une prise, une seule ; erreur interdite ; terreur maximale. On peine à croire que Scorsese ait réellement reçu, ainsi que le laisse accroire le film, la liste une minute avant l’entrée en scène, mais il est probable que les Stones, fidèles à leur habitude, n’aient pas vraiment préparé le coup. Du grand n’importe quoi, comme on aime.

Dans les préparatifs, on voit Scorsese apprendre que Bill Clinton sera présent ; « c’est un concert de charité ?! » s’exclame-t-il surpris, tandis que Jagger, plus mondain que jamais vient saluer la famille Clinton au grand complet ; Charlie, toujours sur la réserve, semble épuisé par ce protocole où il est visiblement mal à l’aise ; la mère de Clinton s’est déplacée. « Hello Dorothy » lance Keith sorti de nulle part, contrastant avec la retenue pudique de Charlie et les salamalecs de Jagger. Tandis que chacun sourit alors avec quelque niaiserie, ne sachant pas trop quoi se dire, Keith plus diablotin que jamais lance un « Clinton, ferme ta bush » brisant enfin la glace.

Puis arrive l’entrée en scène : Jumpin’ jack flash. Monumentale explosion. Un riff parfait. Jagger sautillant comme jamais, les dieux sont en lice. Fait rarissime : Ronnie tente un solo doublé d’un mouvement corporel. Trois fois cette séquence presque surréaliste reviendra dans le film ; oh, certes, le solo durera approximativement une dizaine de secondes, guère plus, mais la chose est si rare…

Le concert est entrecoupé d’images d’archives plus hilarantes les unes que les autres : un extrait de télévision américaine où un Jagger superbement insolent arrivant en hélicoptère dans un parc cossu s’apprête à débattre de la sexualité et de la débauche avec le rédacteur en chef du Times, un évêque, un représentant des jésuites et l’ancien ministre de l’intérieur et de la justice.

Des séquences japonaises révèlent une intervieweuse nippone hilare en apprenant qu’elle est née le même jour que Jagger, tandis que Charlie Watts, interrogé sur les causes du succès des Stones répond lapidairement, après la prolixité de Jagger, « Really, I don’t know… »

Lorsque Jagger présente les musiciens, il en profite pour assurer à Ronnie « They love you », rappelant avec perfidie combien Wood est mal accepté par les fans ; demandant à Charlie de dire « Hello », il obtient de ce dernier un « hello » minimaliste, incitant Jagger à commenter ainsi : « he speaks ! » sous les hourras du public. Ca rappelle un peu les trois mots de Charlie à l’Olympia en 2003 qui avaient suscité l’hystérie de la foule. Puis arrive Keith « on the guitar and now on the vocals », enveloppé dans un grand manteau, clope au bec, baigné d’un sourire mi ange mi démon. Nouvelle formule : exit le « It’s good to be here, it’s good to be anywhere ! », bienvenue à un « it’s good to see you… It’s good to see anybody » La foule exulte. Excellente interprétation de You got the silver

Après que Keith eut poussé la chansonnette, Jagger revient ; Scorsese souhaitait que Jagger arrivât sous un éclairage orangé rappelant la chaleur de l’enfer pour Sympathy for the devil ; cela avait donné lieu à un échange assez comique entre le réalisateur et le machiniste, remarquant qu’au-delà de 14 secondes, Jagger prendrait feu, appelant un commentaire de Scorsese ; « on ne peut pas mettre le feu à Mick Jagger » Mais Scorsese voulait l’effet luministe, et l’arrivée de Jagger dans ce ciel de flammes est tout simplement fabuleuse.

On pourra oublier rapidement le duo avec Christina Aguilera sur live with me mais le start me up restera certainement dans les annales ; le riff de Keith est gigantesque, bien que ce dernier trouve le moyen de se planter sur l’intro de Satisfaction. Les plus fans d’entre nous diront que ce sont ces plantages qui nous les font aimer. N’oublions pas un duo avec Buddy Guy, « Buddy fucking mother Guy » plaisanta Jagger, extraordinaire moment de blues, d’improvisation aussi, Buddy Guy jouant avec bonheur avec l’harmonica de Jagger tandis que Richards tournait autour de Guy, le tout proposant un magnifique moment de blues.

Ce film est, pour ceux qui aiment les Stones, tout simplement fabuleux ; des morceaux rares y sont interprétés (Shattered, all down the line, loving cup, as tears go by), la réalisation est infiniment supérieure à celle du coffret 4 dvd dont j’avais pu ici même dire tout le mal que j’en pensais. Le son est extraordinaire, et Scorsese filme les Stones comme jamais on ne le fit, mettant en valeur le jeu de scène de Jagger impressionnant de puissance et de domination pour ses 64 ans. Les guitares ne sont pas noyées par les cuivres ni par l’insupportable synthé de Chuck Leavell,

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Je ne finirai pas cet article par un cliché du genre : « les Stones rajeunissent sur scène », mais je tiens néanmoins à souligner que l’essentiel de la salle était jeune, d’une moyenne d’âge de 30 ans environ ; seul bémol, il y a un côté parfaitement ridicule à se trouver dans une salle statique réprimant tout mouvement – à la notable exception du spectateur présent devant nous qui, au début, n’hésitait pas à lancer son bras en rythme dès que Richards balançait un riff –  lorsque la musique des Stones incite au contraire à se déhancher follement. La salle fige le spectateur, hélas, mais telle était la rançon d’une bonne visibilité des images par tous, la position sagement assise rappelant toutefois que nous n’étions que dans une salle obscure brisant au fond l’illusion scénique.  


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