Quantcast
Channel: Le nez en l'air : le blog de Coincoin » Art et esthétique
Viewing all articles
Browse latest Browse all 21

Clair de Romy : sur clair de femme de Gary

$
0
0

Clair de femme est un des ouvrages de Gary recherchant certainement davantage l’émotion que l’originalité. Tout s’y passe comme si ni le malheur ni le bonheur n’avaient prise sur les deux êtres qui évoluent tout au long du roman ; ce sont des êtres qui sont, qui aiment sans aimer, qui détestent sans détester (j’ai honte de cette formule journalistique).
« Je suis pilote de ligne, j’ai quarante-cinq ans, je suis debout sur le palier du quatrième étage d’un immeuble boulevard Malesherbes, à côté d’une femme qui existe vraiment, elle aussi. Tout cela est sûr, certain, vécu, et l’impression d’irréalité que j’éprouve est parfaitement normale, elle est due justement à un excès de réalité. Je n’ai aucune raison d’être ici plutôt qu’ailleurs, ce sont ce qu’on appelle les « circonstances », les hasards d’une dérive et d’une main tendue
[1]. » Contingence des êtres et indétermination du degré de réalité : à la fois par excès et par défaut, le réel est le cadre dont se contentent Lydia et le pilote de ligne. 

romy4.jpg

Le réel de Lydia n’est autre que la réunion de ce que l’on croyait inconciliable ; de là cette impression d’impossibilité d’accrocher la vie ; en saisir un bout, c’est immédiatement en devoir abandonner l’autre. Tout s’y fait antinomie : « Le rire, c’est parfois une façon qu’a l’horreur de crever[2]. » Et ce réel, qui se veut somme toute totalité, échappe à l’homme ; celui-ci n’est pas calibré pour accueillir la contradiction ; dès lors, seule la folie, seule l’erreur volontaire constituent la voie honorable pour recevoir la grâce de l’amour. « Aimer est une aventure sans carte et sans compas où seule la prudence égare[3]. » La folie donc comme condition de l’amour, mais il faut également en admettre les conséquences. L’amour n’est pas le bonheur, la folie n’ouvre pas les portes de la vie réussie. Mais il n’est pas pour autant le malheur. Tout se passe comme si l’amour pur emmenait par-delà les affects du bonheur et du malheur ; il s’agit de « profaner le malheur[4] » sans quêter son opposé ; et somme toute, Gary retrouve là une thèse classique : l’amour pur s’accomplit dans l’impossibilité – terme qui qualifie à la fois le pilote : « C’était une impossibilité absolue, organique : tout ce qui faisait de moi un homme était chez une femme[5]. » et Lydia : « Vous êtes arrivé mais je fus prise de… d’impossibilité. J’ai reçu ce qu’on appelle une bonne éducation : celle qui nous entoure de barrières. Il faut un vrai coup de tête pour les faire tomber[6]. »

Ils s’aiment parce qu’ils savent que c’est impossible ; s’il y avait eu le plus maigre espoir qu’ils forment un couple banalement heureux, l’amour aurait disparu, il aurait été corrompu par les possibles. Et cela, c’est moins banal qu’il n’y paraît.

Costa-Gavras a tiré de ce très beau roman un film très fidèle à celui-ci, porté par la grâce de Romy et la souffrance de Montand. Costa-Gavras est certainement le seul réalisateur à savoir conférer une dignité à Montand (cf. Z) ; loin de son personnage de hâbleur parvenu et paradant qui n’est malheureusement pas absent des films de Sautet, Montand trouve ici une retenue, une sobriété, une souffrance intériorisée qui lui octroie – enfin – une respectabilité. Le seul reproche que l’on pourrait énoncer porterait davantage à l’égard de la réalisation de Costa-Gavras qui, à force de coller au texte du roman, transforme certaines répliques en tirades un peu figées – particulièrement chez Montand.
Toutefois, le film est parfaitement maîtrisé, et laisse libre court à la pudeur des deux amants, réunissant superbement la souffrance et l’abondance, le malheur sous les salons dorés des quartiers bourgeois, le désir et l’amour dans le paroxysme de leur impossibilité.

Et si Gary avait exprimé là, dans l’amour, toute la profondeur d’Orphée ?

[1] Romain Gary, Clair de femme, Gallimard, 1977 p. 75
[2] Ibid. p. 101
[3] Ibid. p. 137
[4] Ibid. p. 138
[5] Ibid. p. 36
[6] Ibid. p. 85


Viewing all articles
Browse latest Browse all 21

Latest Images

Trending Articles





Latest Images