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Rembrandt bouquet final : l’unité de l’être au coeur du dessin

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Il y a des jours où tout va bien ; ainsi celui où je proposai à Florence de venir visiter l’exposition Rembrandt, Bouquet final à l’Institut culturel néerlandais, et où elle accepta. Donc, nous y allâmes.

 Il s’agissait uniquement de dessins de Rembrandt, pour la plupart authentiques, ou plutôt attribués au maître, puisque l’on sait que la critique contemporaine, depuis les années 1950, a fourni un travail vertigineux d’attribution, ne laissant à ce pauvre Rembrandt qu’environ 300 dessins sûrs, tous les autres étant désormais attribués à des élèves ou des imitateurs. Donc des dessins uniquement, à cette exposition, mais des dessins pour quoi faire ? Rembrandt, en effet, ne goûtait guère les esquisses ni les travaux préparatoires pour ses toiles (disegno) ; de toute l’exposition, du reste, seul un dessin est officiellement dévolu au rôle du travail d’étude, tous les autres possédant une finalité intrinsèque, en dehors de tout dessein externe. Ce sont donc des œuvres entières qui sont présentées au public, le plus souvent réalisées sur papier blanc non teinté, ce qui suffirait presque à assurer l’originalité du peintre, tant ce procédé est rare.

Le dessin, pour Rembrandt, constitue donc un exercice à part entière, qui prend diverses directions, aussi variées que des mises en scène bibliques, des travaux de lumière pour des paysages bruts, ou des recherches d’expressivité humaine remarquable, puisées dans l’observation des petites gens. C’est précisément dans la force expressive des personnages que se reconnaît la patte du maître, c’est-à-dire dans cette économie de moyens – croissante au fur et à mesure de son œuvre – économie de moyens par laquelle quelques traits suffisent à brosser un caractère, évoquer une âme.

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 On observe ainsi une dominante de représentations humaines, avec une dilection particulière pour les scènes bibliques, bien que, de temps à autre, quelques scènes rurales, de paysage pur, rappellent les origines flamandes de Rembrandt. Variété thématique, donc, mais aussi variété de matériaux : sanguine (dont le superbe vieillard en début d’exposition), pierre noire, encre brune, Rembrandt maîtrise chacune de ces techniques avec un égal bonheur. On retrouve dans cette exposition un grand nombre de scènes bibliques, dont certaines frappent et émeuvent fortement, non par l’originalité du traitement thématique, mais par la force émotionnelle que Rembrandt parvient, en quelques coups de crayon ou de plume, à conférer aux personnages du drame religieux. Chaque dessin ne laisse de rappeler la fameuse lettre à Huygens où Rembrandt déclarait rechercher « l’émotion la plus grande et la plus naturelle possible »

rembrandt.jpg

 Mais, au-delà de cette force de conviction émotive que l’on retrouve admirablement dans ses dessins, le mérite principal de l’exposition réside dans le fait qu’elle permet de comprendre – ou plutôt de constater – à quel point Rembrandt maîtrise en virtuose la lumière et ses effets. On le savait maître du clair-obscur dans ses tableaux, on le découvre technicien hors-pair de la lumière et on se prend à penser que l’exposition londonienne où étaient confrontées les œuvres de Rembrandt et de Caravage était plus que pertinente. Mais si Caravage recherche des effets spirituels grâce aux clair-obscurs, le tâtonnement inhérent au refus du disegno par Rembrandt lui impose de rechercher des effets luministes réalistes, et l’on peut admirer avec étonnement l’incroyable maîtrise des ombres sous un arbre feuillu, l’effet de profondeur merveilleux d’un bosquet par de simples touches noirâtres, vigoureuses mais précises, ou l’action d’Eole suggérée par de subtiles nuances luministes ; en somme, ce que permet de visualiser cette exposition, c’est le fait que Rembrandt est capable, outre d’offrir à ses personnages une remarquable présence psychologique, ce que Manuel Jover appelle la « présence impressionnante »[1], de conférer à l’être en entier un caractère ; ici un bosquet s’agite avec grâce, là un vent malicieux agite un arbre touffu, là-bas s’étend un champ puissant, à perte de vue. L’âme du monde est partout présente dans ce trait viril et ferme, nonobstant la dimension tâtonnante du geste.

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  Ce qui est fascinant chez Rembrandt, en somme, c’est l’unité de l’être qu’il nous propose. Tout y est force et vigueur, et nulle ombre ne saurait se glisser dans l’œuvre si elle ne répondait à son complément lumineux – ou l’inverse. Ainsi le monde entier rayonne-t-il d’une âme, toute droit sortie du sourire ou d’une grimace d’un paysan, de la souffrance paroxystique d’un Christ en croix, de la laideur d’un gueux ou de la noblesse d’un vieillard réfléchi. « Chez Rembrandt, écrivait Elie Faure, (…) la substance même des âmes, avec le geste, passe dans la matière sans arrêt. Quel que fût son outil, qu’il se servît de l’eau forte ou de l’huile, qu’il eût en son pouvoir toutes les couleurs du prisme ou seulement l’ombre et le jour dont la gravure dispose, les palpitations lumineuses et les mouvements instinctifs qui inappréciables pour d’autres, réduisent pour lui l’univers à une circulation ininterrompue de molécules animées dont il fait partie lui-même. »[2]

On ne saurait mieux dire que cette belle analyse : l’âme passe dans la matière, le caractère s’incarne et se diffuse dans l’être en son entier et c’est cela qui est admirable.

Il est donc pleinement judicieux de se rendre à cette belle exposition, où un Rembrandt méconnu s’avère en définitive très proche de ce qu’on connaît habituellement du maître, alors même que ces dessins présentés ne sont pas des esquisses de tableaux connus. De surcroît, les plus exigeants seront ravis de retrouver les techniques habituelles du peintre mais ils auront la surprise de contempler une incongruité au sein de son œuvre : la sobriété du nombre. Nous sommes en effet habitués aux scènes de groupes dont La ronde de nuit constitue le paradigme le plus frappant ; ici, rien de tout cela, mais bien plutôt des scènes au nombre de personnages réduit, voire ramené au néant au profit d’études de paysages agrémentés d’une petite ferme ou, à l’inverse, des études de types psychologiques sans aucun décor. Pas de profusion donc, ni d’encombrement du dessin ; juste la délectation de contempler l’être et de le transcrire par quelques traits puissants et d’en restituer les aspérités par un jeu de lumières parfois saisissant afin que le « thaumaturge de l’âme (…) fasse rayonner d’une chaleur fraternelle (…) toute créature et toute création. »[3]



[1] Connaissance des arts, n° 636, mars 2006, p. 43

[2] Elie Faure, Rembrandt in Elie Faure, Histoire de l’art, L’art moderne I, Denoël, 1987, folio-essais 1988, p. 105

[3] René Huyghe, Sens et destin de l’art, Tome II, Flammarion, 1985, p. 136


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