Quantcast
Channel: Le nez en l'air : le blog de Coincoin » Art et esthétique
Viewing all articles
Browse latest Browse all 21

De la Juive d’Halévy à Azul d’Arevalo

0
0

Nous devions, avec Mister Elgar, nous rendre il y a quelques semaines à l’opéra Bastille afin d’assister à La Juive, d’Halévy. Forts de ce projet, nous y allâmes, le cœur joyeux et l’âme ravie de découvrir cet opéra si rarement monté. Mais à peine arrivés, nous sommes contraints de discuter âprement avec une « hôtesse d’accueil », charmante mais victime de l’absurdité du système de réservations de cet opéra. Nonobstant ce désagrément, nous nous installons dans la queue et attendons patiemment l’ouverture des guichets. Soudain, un homme autoritaire nous intime l’ordre d’évacuer les lieux sans plus de précisions ; contraints de sortir, nous comprenons rapidement qu’il s’agit d’une alerte à la bombe qui risquerait de détruire, plus qu’il ne l’est déjà, le magnifique opéra Bastille. Donc nous prenons place sur le parvis et maugréons mollement, poussés par la rumeur qui parcourt la foule qui nous entoure. Puis, au bout d’une petite heure d’attente, l’opéra étant désormais totalement bouclé par la police, nous décidons d’abandonner notre cher projet et nous mettons en quête d’un moyen de restauration.

opra2.jpg

Petit sandwich, délibération, et choix d’un petit film à la mode : Azul. Présenté modestement comme le film du « réalisateur espagnol le plus prometteur depuis Almodovar », le film sent bon l’esprit Libération et le soutien des salles d’art et d’essai. Avant même d’assister à la séance, l’idée qu’il s’agira de mois et d’egos tourmentés et de découverte d’une sexualité à la Almadovar se fait évidente. Qu’à cela ne tienne, nous prenons les billets et rentrons dans la salle obscure, pour un film qui ne l’est pas moins ; le titre complet est en effet Azul Oscuro Casi Negro (Bleu Nuit Pratiquement Noir), titre qui témoigne donc des petits aléas obscurs des petits problèmes de l’existence. 

Daniel Sanchez Arevalo présente son film en ces termes : « AzulOscuroCasiNegro est l’histoire de gens qui luttent contre leur destin, contre « ce qui est écrit dans les étoiles ». Des personnages piégés de l’autre côté d’une vitre, une vitre si fine qu’on la devine à peine, presque invisible mais qu’on peut difficilement ignorer. » 

A lire ce bref pitch, on pourrait supposer qu’il s’agira donc de présenter des forces obscures mais puissantes contre lesquelles devront lutter les « héros » du film. Mais en fin de compte, on se rendra vite compte que le film ne parvient pas à créer une unité cohérente autour de la notion de destin. Si Jorge (Quim Gutiérrez qui a reçu le Goya de la révélation masculine) n’a finalement qu’un seul ennemi et qu’un seul opposant, à savoir lui-même, Israël (Raoul Arévalo) est totalement tributaire de son père et semble parfaitement déterminé par cet héritage, tandis que Natalia suit la route tracée par ses études. Le seul, en définitive, à lutter contre un destin écrasant et qui le détruira, c’est Antonio, sorti de prison et écrasé par le poids de l’amour qu’éprouve sa petite amie pour son propre frère. Nulle unité thématique donc, et l’on se demande vraiment en quel sens il y va de la lutte contre un destin tant les personnages sont figés dans le stéréotype de la lutte contre soi ou de la détermination sociale. 

 De ce fait, ce qui est en jeu, ce sont les blocages psychologiques ou les orientations sexuelles qui ne s’avouent pas, ce qui ramène le film à des ambitions nettement moins éthérées que celles mettant pompeusement en œuvre l’idée de destin.. Jorge, à la manière d’une série américaine, hésite entre deux femmes, Paula, une prisonnière avec laquelle son frère lui demande de coucher pour lui faire un enfant, et Natalia, la jeune commerciale à qui sourit l’avenir, symbole de réussite sociale. Naturellement, Antonio, le frère de Jorge, ne se doute pas une seconde que Paula, sa petite amie, tombera amoureuse de Jorge. Pourtant, le spectateur le comprend, hélas, fort rapidement, ce qui fait de ce film un poncif de clichés attendus et, hélas, produits. 

Quant à Israël, son personnage est peut-être le plus intéressant de l’histoire ; non pas psychologiquement tant on retrouve chez lui le poncif du type qui exalte la virilité pour mieux dissimuler son homosexualité refoulée, mais par son côté sans-gêne, son ridicule affiché et revendiqué, qui demande à une fille qu’il ne connaît pas de coucher avec lui pour vérifier qu’il est pas homosexuel (ce que, bien évidemment, la fille accepte, comme toute Espagnole contemporaine qui se respecte) ou par son observation voyeuriste aux jumelles des pratiques d’un masseur dont il blâme les pratiques avant, évidemment, d’y succomber. Bref Israël fait rire par sa médiocrité et son côté Friends, grâce aux répliques la plupart du temps absurdes et théâtrales, mais efficaces. 

Un des points intéressants du film réside néanmoins dans la psychologie – certes banale, mais toutefois saisissante – de Jorge : condamné à s’occuper de son père devenu paraplégique depuis son accident cérébral, il lui prodigue des soins attentifs et obsédants, allant jusqu’à tirer argument de cette occupation pour s’enfermer lui-même dans une fatalité de l’échec. Titulaire d’un diplôme d’économie, il pourrait prétendre à un poste professionnel prestigieux, mais ne cesse de mettre en avant son obligation à l’égard de son père, comme s’il ne désirait pas réellement accéder à un emploi intéressant, comme si sa vie de concierge, en définitive, lui convenait. On comprend rapidement que Jorge ne désire pas tant le poste prestigieux mais désire être considéré comme utile, utilité qu’il ne ressentirait nullement dans une multinationale où il ne serait qu’un simple pion. C’est pourquoi il préfère prendre, à la fin du film, un emploi de concierge – à nouveau – dans un nouvel immeuble. Ce besoin de se sentir utile se retrouve évidemment dans ses rapports amoureux : face à Natalia, il n’est rien, ne lui procure nulle aisance financière ni aucun prestige social. Il n’incarne rien face à elle, sinon l’amitié amoureuse de jeunesse. En revanche, face à Paula, il est celui grâce auquel elle a eu un enfant, celui qui peut la sortir de la misère carcérale, celui dont elle a besoin

La contrepartie de tout cela, c’est que Jorge se trouve acculé à ne choisir que des situations inférieures à ce à quoi il pourrait accéder : concierge alors qu’il pourrait être cadre commercial, amant d’une prisonnière sans ressources alors qu’il pourrait vivre avec une brillante cadre qu’il a toujours aimée. 

 Naturellement, on ressent clairement la dimension quelque peu moralisante du film : Jorge fait le choix de l’amour authentique, malgré les possibilités qui sont siennes professionnellement ou sentimentalement ; Paula elle-même fait le choix de la sincérité en quittant Antonio pour Jorge, et Israël choisit le vrai dans la reconnaissance de sa bisexualité. Eloge très contemporain de l’ « authentique », d’une certaine éthique de la « sincérité », donc, qui susurre en sourdine qu’il ne faut pas forcer la vie, qu’il faut s’accommoder, composer avec elle, rechercher une sorte de compromis. 

A bien y regarder, pourtant, ceux qui ont réellement refusé le destin, à savoir Antonio et Natalia, ceux qui ont cru en la volonté humaine, sont les grands perdants de l’histoire ; Antonio voit ses espoirs de vie de couple avec Paula et d’honorabilité anéantis par son frère, tandis que Natalia subit les foudres d’un amour impossible brisé par une prisonnière. Comme si vouloir refuser la fatalité s’assimilait au manque de sincérité, au manque d’authenticité, à un crime de lèse-fatalité qui punissait avec justice les auteurs de ce crime. 

 Le paradoxe, en définitive, de ce film – dont on comprend que je ne l’ai que fort peu goûté – c’est que l’humain chanté est renvoyé au déterminisme purement naturel et animal ; l’accomplissement de Paula est celui de la maternité, tandis que celui de Jorge est celui du gardiennage sédentaire et sans progrès ; en revanche, partout où il y a lutte et ascension, que ce soit celle de Natalia, qui apparaît sous les traits d’une ambitieuse ou d’Antonio qui recherche la sécurité financière et la création d’une boutique, partout donc où il y a affirmation, création, nouveauté, il y a malheur, échec, et presque déshumanisation. Le paradoxe est que l’humain semble réduit à l’acceptation déterministe – naturellement, le réalisateur refuserait certainement cette interprétation parce que, n’est-ce pas, la résignation, ce n’est pas bien – alors que tout ce qui relève d’une définition humaniste de l’homme (refus du déterminisme, création, progrès, etc.) est renvoyé aux horreurs de l’ambition, du vol, du factice. 

 En somme, ce film est insupportablement étriqué ; sous couvert d’une valse croisée de destins, le réalisateur ne fait que rapprocher dans un groupe sympathique ceux qui n’ont pas le courage d’affronter le destin – rappelons-le que Paula s’est laissée enfermer en prison alors qu’elle n’était en rien coupable, ce qui est un acte absurde – tandis que les véritables acteurs de leur vie sont renvoyés dans les enfers de la roublardise ou de l’ambition professionnelle : caricatural, prétentieux et facile.

elgarmoi2.jpg

  

Néanmoins, après ce film un peu décevant, nous eûmes la chance de contempler l’éclipse de lune, sur le pont Sully. Sublime spectacle que celui des berges parisiennes illuminées, aux pieds de Notre Dame hiératique, au-dessus desquelles disparaissait progressivement la lune, coquinement éclipsée l’espace de quelques minutes par un facétieux alignement des trois astres.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 21

Latest Images





Latest Images