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Théophile Bra au musée de la Vie romantique : hermétisme et mystique

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Qui connaît Théophile Bra ? Pour qui est un petit peu versé dans l’ésotérisme, c’est l’inoubliable auteur de L’évangile rouge[1], que Gallimard a eu la bonne idée de rééditer récemment. L’évangile rouge, c’est un passionnant journal intime qui relate ses expériences mystiques, sur un mode ésotérique, de 1826 à 1829. Les expériences décrites y sont consignées sur un registre occulte, qui alimenta fort longtemps les interprétations les plus hardies, sans que ne soit totalement décryptée, toujours aujourd’hui, toute la richesse du propos et des expériences que le XIXème siècle avait attribuée à une vésanie fabuleuse. Bra fréquentait alors les cercles swedenborgiens et était en proie aux hallucinations les plus surprenantes, hallucinations qu’il attribuait à de la mystique, laquelle confinait, selon les médecins de l’époque, à de la folie. Néanmoins, ayant consigné très méticuleusement ses expériences extatiques dans des carnets tenus secrets, on fut très vite amené à penser que sa prétendue folie avait été fortement exagérée, tant les comptes-rendus semblaient lucides et précis. C’est pourquoi l’Evangile rouge constitue aujourd’hui une des Bibles (sans mauvais jeu de mots) de l’ésotérisme et l’on ne saurait trop remercier les éditions Gallimard de l’avoir réédité.

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Mais Bra, ce n’est pas que ce livre fragmenté, à la fois épistolaire et diariste, c’est surtout un sculpteur ; ô imbécile que je suis ! je n’ai découvert sa profession que fort récemment, à l’occasion d’une exposition que le musée de la vie romantique lui a consacrée et que je visitai en la délicieuse compagnie de Sandrine. Il ne s’agissait pas, pourtant, du Bra sculpteur, loin s’en faut, mais du Bra dessinateur. Le Bra dessinateur n’est ni connu ni remarquable : sa formation est celle d’un sculpteur classique, primé à l’Ecole des Beaux Arts, et 2ème grand prix de Rome en 1818. Parallèlement à l’école des beaux arts, il suit des cours d’anatomie, de littérature, de religion, de physiologie, d’astronomie et de philosophie. En 1822, il se lie avec l’élite libérale, et rencontre Benjamin Constant, François Guizot, avant de se faire initier à la loge de la parfaite Union de Lille en 1824. A 28 ans, il reçoit déjà la légion d’honneur et en 1826 il se lance dans ses expériences extatiques de voyance, de somnambulisme, expériences qui constitueront le cœur de l’Evangile rouge, mais qui nourriront aussi pendant plus de 25 ans ses réflexions sur l’ésotérisme.

Sa carrière de sculpteur est impressionnante : à la manière de David, il ne conçoit que le monumental, et ne travaille que pour des commandes publiques : il participe à plusieurs salons, à Paris, mais aussi à Douai, il obtient une commande pour un monument à la gloire du duc de Berry pour Lille, il décore la Madeleine, propose nombre de projets pour Versailles, et participe aux sculptures de l’Arc de Triomphe et décore le Sénat. Dès l’âge de 22 ans, il est reconnu comme un artiste très doué, salué par Etienne Geoffroy Saint Hilaire ou Quatremère de Quincy, secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux Arts. Sculpteur reconnu, donc, mais illustrateur méconnu.

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Heureusement, une exposition à Houston en 1998, le musée de la Chartreuse à Douai en 1999 et le musée de la vie romantique en 2007 ont rendu hommage à son œuvre dessinée qui, disons-le d’emblée, présente un intérêt moins artistique qu’ésotérique. L’exposition du musée de la vie romantique ne présentait que des dessins d’ordre métaphysique et ésotérique, singulièrement hermétiques pour qui n’avait pas lu L’évangile rouge, l’hermétisme déroutant n’étant hélas pas compensé par une qualité remarquable des œuvres proposées.

Le point nodal de la métaphysique de Bra, c’est la recherche d’unité, thème classique de l’ésotérisme. Très jeune, dès 5 ou 6 ans, il éprouve ce qu’il appelle sa « maladie d’unité », où la scission de son corps et de son esprit lui est intolérable : au même âge lui apparaissent en songe des formes inconnues, des têtes de feu, dont l’exposition propose quelques représentations. Dès lors, Bra recherchera dans toutes les traditions religieuses et métaphysiques l’idée d’unité, d’Un, et la trouvera tantôt dans un christianisme de nature spiritualiste, dans l’Upanishad, ou dans la religion égyptienne dont les écritures ont été déchiffrées en 1814. Le Christianisme sera évidemment présent, mais sous forme théosophique, inspirée de Swedenborg, avec un versant johannique évident.

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Fort de sa formation en astronomie, et introduit en loge, Bra peut également fréquenter quelques célèbres astronomes franc-maçons, comme Arago (celui auquel Paris doit son méridien) avec lequel il entretient une savante correspondance, dissertant notamment autour de l’anneau saturnien dont le symbolisme ésotérique est connu : l’alchimie, pour ne parler que d’elle, considère qu’il est urgent de fluidifier le gaz de Saturne afin de lui redonner sa fluidité intérieure, et l’anneau saturnien constitue ainsi une métaphore du cercle parfait où se joue le passage vers l’au-delà. Une étrange alchimie se crée aussi avec Balzac, franc-maçon s’il en est, qui s’intéresse de près aux sciences positives et à l’occultisme et dont le personnage de Balthazar Claës dans La recherche de l’absolu est une reprise cryptée de la vie de Théophile Bra de même que Séraphitus est l’équivalent littéraire de l’Ange de Bra.

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Bra eut deux femmes auxquelles il demandait de pratiquer le somnambulisme et le magnétisme. Comme toute personne versé un tant soit peu dans l’ésotérisme, Bra était convaincu que la sexualité et l’amour signalaient un dépassement métaphysique, et permettaient d’éprouver des jouissances proches de béatitudes célestes. Sa première femme, Christovalina, meurt en 1829 ; c’est la fin des expériences décrites dans l’Evangile rouge et le début de véritables délires, ce qui tend à prouver que les expériences relatées dans L’Evangile rouge ne relèvent pas de la folie… Quoi qu’il en soit, Bra avait connu avec Christovalina de véritables expériences mystiques, fusionnelles, où la sexualité se faisait accès vers l’absolu, un peu à la manière du Banquet ou des expériences renaissantes et, plus généralement, des idées romantiques.

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L’exposition propose également des dessins d’ordre maçonnique, avec équerres, compas, symboles cosmologiques, étoiles à 5 branches, etc. Quelques roses, symboles de perfection et de beauté, personnifient sa première femme, trop tôt disparue. On y retrouve l’ensemble de la symbolique ésotérique, de l’échelle comme voie d’accès vers l’au-delà au langage initial de l’âge d’or, le tout sur un fond christique et hindou…

En définitive, cette exposition montre une quête d’unité métaphysique à travers les écueils de la diversité mondaine ; plusieurs expériences sont tentées, de l’amour métaphysique aux techniques ésotériques, sur fond d’unité christique, ce qui a le mérite d’illustrer concrètement le sens du syncrétisme ambiant au XIXème siècle, dont Schuré sera somme toute le fidèle produit, à savoir de cette idée de Philosophia Perennis selon laquelle l’Un se donne dans toutes les traditions, de Pythagore au Christ, en passant par l’hindouisme et la loi mosaïque. Il n’est pas certain que les dessins soient très bons, et Sandrine ne fut guère enchantée par l’exposition ; néanmoins, pour qui s’intéresse à l’ésotérisme et aux tourments de l’âme humaine, c’est une expérience plus qu’intéressante, mystérieuse et déroutante.

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[1] Théophile Bra, L’évangile rouge, Gallimard, Paris, 2000


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